Kirrha

Le village actuel de Kirrha, qui jusque dans les années 1930 était encore baptisé Xeropigado (littéralement « le puits sec »), emprunte son nom à celui  de l’antique port de Delphes, son lointain devancier supposé en ces lieux : un habitat, un sanctuaire et des aménagements portuaires y sont en effet attestés à partir de la fin du VIe siècle, ainsi que des vestiges romains et byzantins. Par ailleurs, des ruines de fortifications médiévales rappellent que le port de Salone (Amphissa) se trouvait également à cet endroit. L’habitat moderne est aujourd’hui situé au fond du golfe d’Itea, au pied des montagnes qui forment la péninsule de Desphina, entre le bord de mer et la petite éminence accueillant l’église et le cimetière, et qui n’est autre que le tell préhistorique sur lequel porte l’essentiel de ce programme.

L’Âge du Bronze n’est pas inconnu en Phocide, puisque des niveaux mycéniens ont été explorés à Delphes, tandis que des traces d’occupation de la même période ont été reconnues en plusieurs endroits – elles sont parfois significatives,  comme sur l’acropole voisine de Krisa. Kirrha se distingue des autres sites préhistoriques de la région par sa longue occupation (les traces les plus reculées remontent à l’Helladique Ancien) et par le fait qu’il est connu depuis longtemps, puisque la première exploration archéologique y remonte aux années 1930. Les niveaux les plus importants qui y furent mis au jour appartenaient, en ces temps pionniers de l’archéologie égéenne, à une période alors peu explorée de la protohistoire (Helladique Moyen et début de l’Helladique Récent), et Kirrha se trouvait à cet égard en situation marginale au sein des études égéennes. Elle était essentiellement pré-mycénienne et se trouvait dans une région demeurée à l’écart des bouleversements que connurent les grands foyers de la civilisation mycénienne. Or, depuis plusieurs années sous les effets d’un regain de la recherche, cette marginalité a tendance à s’estomper, tant sur le plan chronologique que sur le plan géographique.

Le tell de Kirrha a fait l’objet d’une première enquête archéologique entre 1936 et 1938 sous la direction de J. Jannoray et d’H. van Effenterre, qui en ont notamment exploré le sommet lors de deux campagnes de fouilles en 1937 et 1938. Plusieurs secteurs de dimensions respectables ont été ouverts ainsi qu’un sondage stratigraphique, dont l’empreinte est encore visible aujourd’hui dans la topographie, particulièrement au nord de l’église du village moderne. Outre l’enceinte et les vestiges du sanctuaire classique, ces différents sondages avaient permis l’établissement d’une trame chronologique allant de l’Helladique Ancien à la fin de l’Helladique Récent, ainsi que la mise au jour d’importants vestiges d’habitat et de tombes appartenant pour l’essentiel aux dernières phases de l’Helladique Moyen et à la période mycénienne. La guerre mit fin à ces recherches, dont la publication fut longtemps retardée, et il fallut attendre les années 1970 pour que les fouilles reprennent à Kirrha, sous la forme de très nombreuses interventions d’urgence menées par le Service archéologique grec, répondant aux nécessités induites par l’expansion urbaine. On doit notamment à ces dernières la découverte dans la partie orientale du tell d’importantes installations artisanales en lien avec la production céramique.

Le programme 2009-2015
La reprise des fouilles programmées s’est faite à partir de 2009 sous forme d’une collaboration (synergasia) entre le Ministère grec de la Culture (circonscription de Delphes) et l’École française d’Athènes. Ces nouvelles fouilles avaient initialement trois objectifs principaux : les relations homme-milieu d’une part, en second lieu l’archéologie de l’habitat, qui repose sur l’étude de l’usage des espaces et l’exploitation des ressources environnantes, et d’autre part la mise en place d’un système chronologique par l’étude d’ensembles clos et par des datations absolues. Mais la découverte, au cours des premières campagnes du programme, d’un grand nombre de sépultures a eu un double effet : les restes humains découverts constituent une source d’information très précieuse qui vient abonder nos axes de recherche, tandis que leur nombre et leur variété nous ont conduit à considérer la mise en place d’un programme spécifiquement tourné vers l’archéologie funéraire.
 
Le programme 2017-2021
Le programme de recherches archéologiques 2017-2021 à Kirrha se situe dans la directe continuité du précédent, dont il devra compléter les objectifs. Ainsi, au plan de l’archéologie funéraire, il convient notamment d’achever la fouille de la nécropole Ouest (voir « Les fouilles : campagnes 2009-2015 »), tandis qu’un ambitieux programme d’étude en laboratoire est prévu, combinant déterminations d’ADN moléculaire, datations au radiocarbone et analyses d’isotopes stables sur l’ensemble de la population funéraire de Kirrha. L’apurement des couches superficielles qui accueillent les tombes de la période transitionnelle (HM III – HR I/II), permettra par ailleurs d’atteindre pleinement l’habitat mésohelladique sous-jacent, et dont l’étude constituait un axe principal du programme initial. Enfin, les importantes découvertes concernant les origines de Kirrha, tant sur le plan de l’archéologie des paysages avec les résultats des recherches environnementales menées entre 2009 et 2015, que sur le plan des artefacts, avec la mise en lumière d’un important signal néolithique sur une grande partie du tell, nécessitent que les efforts soient poursuivis dans cette direction : notamment par le recours à des carottages profonds effectués depuis le sommet du tell, ainsi que par une prospection intensive menée sur l’ensemble de son étendue.