Programme | EFA, CVZ

Les conflits d'archives en Europe (XIVe-XXIe siècles)

Les archives sont devenues un objet d’étude et d’enquête à la croisée de plusieurs disciplines, l’archivistique, le droit et l’anthropologie notamment. Étroitement liée à l’évolution des rapports à l’écrit, leur histoire est de plus en plus souvent envisagée comme celle d’institutions complexes, façonnées, transformées et utilisées par des autorités politiques, administratives ou policières, ainsi que par des individus (archivistes, historiens, généalogistes, citoyens) poursuivant des intérêts divers, parfois contradictoires. Elles constituent de surcroît une matière véritablement sensible. Au moins depuis le XIXe siècle en effet, le souci du patrimoine, les enjeux liés à la détention des monuments écrits fondateurs des nation(alité)s, les destructions et les spoliations provoquées par les guerres ont mis les archives au cœur de débats impliquant des cercles plus larges que ceux des seuls spécialistes et usagers des dépôts. Aussi bien dans l’espace public que dans les études menées à leur sujet, les archives ne peuvent donc plus être considérées seulement comme des trésors, des réserves d’authenticité ou des réceptacles silencieux de vestiges du passé, elles sont également des enjeux importants de pouvoir et, parfois, d’idéologie et de construction identitaire. Dans ce contexte, notre projet a pour objectif de participer aux réflexions critiques en cours en proposant une analyse comparative des conflits d’archive sur la longue durée.

Il s’agira tout d’abord de cerner les mobiles, les logiques d’ensemble et les acteurs de ces conflits. On peut en première approche discerner des conflits d’usage liés à la gestion du secret par les archives et, corrélativement, à la question de leur accès. En Espagne par exemple, terre riche en archives nobiliaires et ecclésiastiques, depuis l’époque moderne jusqu’à aujourd’hui, l’opposition est récurrente entre les détenteurs de fonds et les généalogistes, historiens ou citoyens qui veulent les sonder. Dans les pays sortis du Pacte de Varsovie, l’ouverture contrôlée des archives des polices politiques a suscité de très nombreuses polémiques où la préservation des données personnelles et la sécurité des individus concernés le disputaient à la volonté de faire éclater la vérité sur les procédés des dictatures. D’autre part, comme le montrent les rapports successifs de la commission internationale des archives, guerres et changements de régime jouent un rôle décisif dans la genèse de contentieux d’archives de portée plus générale. On se bat pour posséder ou pour gérer des archives, pour en obtenir la restitution, on se dispute sur la localisation ou le nom des dépôts. Un cas particulièrement important est celui des nombreux États issus de la décolonisation qui s’efforcent d’obtenir la possession d’archives détenues par l’État héritier de l’ancienne puissance colonisatrice, de créer de nouvelles archives sources de légitimité. En ce cas, l’analyse des conflits d’archives s’avère indissociable de celles des modalités de création ou de refondation des États.

Dans les conflits de plus grande envergure comme dans ceux qui concernent des fonds privés, des archivistes, des historiens, des juristes sont mobilisés afin de donner des expertises dont usent souvent les protagonistes pour défendre leur légitime possession des archives. Les conflits d’archives devront donc également être envisagés comme une affaire de droit et un enjeu de négociation.

Une troisième dimension enfin retiendra l’attention : les effets des conflits relatifs aux archives. En les sortant de leur espace secret et protégé, ces conflits paraissent à la fois transformer leur place dans les sociétés et avoir un impact sur ces dernières. L’on voudrait ainsi prendre la mesure du rôle des conflits d’archives dans la cristallisation des discours nationaux ou identitaires, qui opposent à plusieurs reprises dans l’histoire des XIXe et XXe siècles la figure du protecteur du patrimoine national à celle du barbare, du pilleur, du destructeur. Les saisies d’archives, à l’instar des annexions de patrimoine effectuées par Napoléon (B. Savoy), semblent également favoriser la circulation de mythes ou de légendes, sur des pillages imaginaires, des restitutions incomplètes. Par exemple, l’effet des saisies napoléoniennes ne s’arrête pas aux seuls documents, car elles forment part d’une mémoire des archives. Entretenue sur la place même du crime, celle-ci nourrit des discours de déploration à forte teneur patrimoniale, a un effet sur les conditions de travail dans des institutions pour lesquelles elles représentent un lieu commun. Pour les documents également, les conflits ne s’effacent pas complètement. Certains fonds sont le produit direct de prises ; d’autres, déplacés, entrent dans de nouvelles configurations, d’autres encore ne sont restitués que partiellement et leur classification antérieure devient difficile à reconstruire. Paradoxe des archives: leur destruction est le plus souvent irréversible, mais les conflits qui les affectent irradient longtemps, marquent d’autres documents, contribuent à modifier le rapport à l’écrit – la perte des registres de Philippe Auguste à Fréteval n’est-elle pas le motif, au moins légendaire, de la création des archives royales ? -, affectent les rapports sociaux et entrent de manière durable dans les mémoires. À l’heure où tous les papiers deviennent nos incunables, les conflits d’archives ont donc encore probablement un bel avenir devant eux.


Calendrier du projet :

Une première journée d’études intitulée Archives en marge, Les autres visages des conflits d'archives (XIVe-XXIe siècles), s’est tenue à Madrid les 25 et 26 octobre 2013.

Une seconde journée d’études intitulée Détruire les archives (XIVe-XXIe siècles) s’est tenue à Athènes les 5 et 6 juin 2014.

Une troisième journée d’études intitulée Conflits d'archives Ouvrir les archives : enjeux, débats, conflits s’est tenue à Paris les 13 et 14 avril 2015.

Partenaires du projet :

École des hautes études hispaniques et ibériques (EHEHI)

École pratique des hautes études (SAPRAT, Paris)

École française d'Athènes

Universidad Carlos III (Madrid)


Domaine(s) : Histoire